CHAPITRE VII - Claude, Mario et Flop
Claude avait passé une excellente journée.
D'abord elle avait aidé M. Girard à panser la jambe de Pompon. Le petit alezan acceptait patiemment les soins et, malgré sa laideur, Claude eut un élan d'affection pour lui.
« Merci, petite », dit M. Girard qui, au grand soulagement de Claude, ne lui avait pas demandé pourquoi elle n'avait pas accompagné les autres. « Voulez-vous disposer des obstacles pour les gosses qui veulent s'exercer aux sauts de haies? »Claude trouva cette occupation très amusante. Pierre et ses petits amis étaient si fiers d’eux- mêmes quand ils franchissaient des obstacles de trente centimètres sur leurs petits poneys. Puis Mario arriva, accompagné d'un roquet appelé Flop. Flop tenait de l'épagneul, du caniche et de plusieurs autres races encore; sa fourrure noire et frisée lui donnait l'air d'une descente de lit montée sur quatre pattes.
Dagobert resta stupéfait devant ce paillasson ambulant; après l'avoir observé un moment, il conclut que c'était bel et bien un chien et lança quelques jappements pour lier connaissance.
Flop ne parut pas l'entendre. Il consacrait toute son attention à un os qu'il venait de déterrer. Dagobert considérait que tous les trésors de ce genre lui appartenaient de droit; il courut sus à Flop avec un grognement de mauvais augure. Flop lâcha l'os et fit le beau. Dagobert le regarda étonné Sa surprise n'eut plus de bornes quand Flop se mit à parcourir la cour, toujours dressé sur ses pattes de derrière. Il n'avait jamais vu un de ses congénères se conduire de cette façon. Fier d'exciter l'admiration de Dagobert, le roquet rappela tous ses souvenirs de cirque et exécuta une série de culbutes du plus bel effet. Puis, essoufflé, il resta couché sur le dos, les pattes en l'air. Dagobert s'approcha pour examiner de plus près cet étrange phénomène. L'autre se releva d'un bond, et, avec force gambades et aboiements, convia son nouvel ami à prendre part à ses jeux. Celui-ci, d'abord hésitant, se laissa tenter et ce fut une folle partie où tous les deux trouvèrent le plus vif agrément. Quand il fut hors d'haleine, Dagobert se coucha dans un coin de la cour et Flop se blottit contre lui comme s'il l'avait connu toute sa vie.
Claude, qui sortait de l'écurie avec Mario, se crut le jouet d'une illusion.
« Qu'est-ce que Dagobert a donc entre les pattes? dit-elle. Ce n'est pas un chien!
— C'est Flop, dit Mario. C'est un vrai singe. Vous allez voir, m'sieu Claude. Flop! Montre un peu comme tu sais bien marcher. »
Flop laissa Dagobert et courut à Mario sur ses pattes de derrière. Claude éclata de rire.
« Qu'il est drôle! On dirait qu'on l'a découpé dans un tapis.
— Il est très intelligent, dit Mario en caressant Flop. Quand est-ce que je pourrai reprendre Pompon, m'sieu Claude? Papa est parti avec les autres et il m'a laissé notre roulotte. Je peux encore attendre un jour ou deux.
— Ce ne sera pas aujourd'hui certainement », dit Claude ravie d'être appelée monsieur et non pas mademoiselle. « Peut-être demain. Tu n'as pas de mouchoir, Mario? Je n'ai jamais entendu quelqu'un renifler aussi fort que toi. »
Mario posa sa main sous son nez. « Je n'ai jamais eu de mouchoir, répondit-il. Mais j'ai ma manche.
— C'est tout à fait dégoûtant, dit Claude. Je vais te donner un de mes mouchoirs et tu t'en serviras Je ne veux pas que tu renifles comme ça.
— Je savais pas que je reniflais, dit Mario un peu vexé. Qu'est-ce que ça peut faire? »
Claude montait déjà l'escalier de sa chambre Elle choisit un grand mouchoir à raies blanches et rouges qui conviendrait très bien pour Mario! Elle le lui apporta et il la regarda avec surprise.
« C'est un foulard pour mettre autour de mon cou, dit-il.
— Non, voyons, c'est un mouchoir pour ton nez, dit Claude. Tu as bien une poche où le mettre? Là, maintenant tu te moucheras au lieu de renifler.
—Où sont les autres? demanda Mario en maniant le mouchoir comme si c'était un objet de verre qu'il craignait de casser.
— Ils font une promenade à cheval, répondit Claude qui reprit un air maussade.
— Ils avaient dit qu'ils viendraient voir ma roulotte.
— Ils ne pourront pas aujourd'hui, dit Claude. Ils rentreront très tard, je suppose. Moi je peux t'accompagner. Il n'y a personne, n'est-ce pas? »
Claude ne tenait pas du tout à rencontrer le père de Mario ou un autre bohémien. Le petit garçon secoua la tête.
« Non, la roulotte est vide. Papa est parti; ma tante et ma grand-mère aussi.
— Qu'est-ce que vous allez faire dans la lande?» demanda Claude tandis qu'elle suivait Mario qui la conduisait dans un champ où ne se trouvait plus qu'une seule roulotte.
« Moi, je m'amuse avec Flop », dit Mario, et il renifla bruyamment. Claude lui assena un petit coup dans le dos.
« Mario! Je t'ai donné un mouchoir. Ne renifle pas. Cela me tape sur les nerfs! »
Mario se servit de nouveau de sa manche; heureusement Claude n'y prit pas garde. Elle contemplait la roulotte.
« Dans la lande, tu t'amuses avec Flop, dit-elle au bout d'un moment. Mais ton père, ton oncle, ton grand-père et tous les autres, que font-ils? Il n'y a pas une maison là-bas, pas même une ferme pour y mendier des œufs ou du lait. »
Mario resta muet. Il retint un reniflement et, les lèvres serrées, dévisagea Claude qui ne cachait pas sou impatience.
« M. Girard dit que vos roulottes vont là-bas tous les trois mois. Pourquoi? Y a-t-il une raison?
—Nous faisons des paniers, dit Mario en évitant ses yeux.
—Je le sais. Tous les gitans font de la vannerie pour la vendre, interrompit Claude Mais vous n'avez pas besoin d'aller au milieu d'une lande déserte pour la fabriquer. Vous pourriez aussi bien travailler dans un village ou dans un champ près d'une ferme. Pourquoi choisir un lieu aussi solitaire ?
Mario ne répondit pas et se pencha sur des branchages disposés près de la roulotte. Claude l'imita et oublia sa question.
« Oh! C'est un signe de piste? Un message de bohémiens! Qu'est-ce que cela signifie? »
Deux branches, une longue et une petite, formaient une croix. Un peu plus loin, d'autres baguettes étaient placées côte à côte.
« Oui, un signe de piste, dit Mario ravi de changer le sujet de la conversation. C'est notre façon de renseigner ceux qui nous suivent. Vous voyez les bâtons en forme de croix? Ils nous montrent le chemin et on doit prendre la direction indiquée par le plus long.
— C'est très simple, dit Claude. Mais ces quatre autres, que signifient-ils?
— Ils indiquent que les voyageurs sont partis en roulotte, dit Mario en reniflant. Quatre bâton… quatre roulottes qui vont du même côté.
— Je comprends, dit Claude, bien décidée à se servir de ce moyen quand elle irait en promenade avec ses compagnes d école. Y a-t-il beaucoup d'autres signes de piste, Mario?
— Des quantités, répondit le jeune garçon. Regardez, quand je partirai, je laisserai celui-ci. »
Il cueillit deux feuilles sur un arbre, une grande et une petite, les plaça côte à côte et posa dessus des petits cailloux. « Qu'est-ce que cela signifie? demanda Claude.
— Cela veut dire que mon petit chien et moi nous sommes partis aussi, dit Mario. Supposez que mon père revienne nous chercher et qu'il voie ces feuilles… Il saura que je suis en route avec mon chien. C'est simple. Une grande feuille pour moi, une petite pour Flop.
— C'est très amusant, dit Claude. Maintenant voyons la roulotte. »
C'était une roulotte à l'ancienne mode, pas très grande, peinte en noir et ornée de dessins rouges; elle avait des roues très hautes. Pour y pénétrer, il fallait monter plusieurs marches. Les brancards reposaient sur le sol en attendant le retour de Pompon.
« J'ai quelquefois visité des roulottes, dit Claude, mais aucune comme celle-ci. »
Elle gravit les marches et jeta un coup d'œil à l'intérieur. Sans être d'une propreté minutieuse, la demeure des gitans était moins sale qu'elle ne s'y attendait.
« Ça ne sent pas mauvais, n'est-ce pas? dit Mario un peu inquiet. J'ai tout nettoyé aujourd'hui; je pensais que vous viendriez tous me voir. Au fond il y a les lits. »
Plusieurs couchettes superposées occupaient l'extrémité de la roulotte et des étoffes de couleur voyante les recouvraient.
« Ma grand-mère seule couche là l'été, expliqua Mario en réprimant un reniflement. Nous autres, les hommes, nous préférons dormir dehors. S'il pleut, nous nous abritons sous la roulotte.
— Merci de m'avoir montré tout cela, dit Claude en regardant les placards, les petits bancs et la grande commode. Je me demande comment vous pouvez tenir tous là-dedans. »
Elle n'entra pas. Malgré le nettoyage de Mario, une odeur bizarre arrivait à ses narines.
« Je reviendrai te voir demain, Mario, dit-elle en redescendant. Pompon sera peut-être guéri. Oh! Mario, n'oublie pas que tu as un mouchoir.
— Je ne l'oublierai pas, dit fièrement Mario. Et je ferai bien attention de ne pas le salir, m'sieu Claude! »